Samedi 19 octobre 2019, 23h51
♫ Agonoize...
Au mois de mai dernier, j'ai écrit à monsieur Lekieffre. Il m'a répondu dans la foulée, puis j'ai laissé passer le temps, comme toujours. Hier soir, je lui envoyais un nouveau message, et je trouvais sa réponse ce matin dans ma boîte mail.
Il y a deux ans, j'ai contacté deux de mes anciennes profs de français, que j'ai aimées de tout mon cœur et à qui je dois de faire étudier Le Cid en quatrième et de lire Zola. Leurs réponses étaient enthousiastes, mais toujours professorales.
Monsieur Lekieffre, c'était mon prof de musique de la cinquième à la troisième, si je ne m'abuse. C'était un type effrayant, virtuose et peut-être aigri. Je le lui ai dit.
Je lui écris des mails lyriques, d'une honnêteté qui me désarme moi-même. Il me répond avec une passion un peu maladroite, citant pèle-mêle Charlie Hebdo, qu'il désapprouve, les Gilets Jaunes et César. J'ai passé plusieurs heures à composer les phrases que je lui ai adressées. En lisant sa réponse ce matin, je me suis sentie comme le jeune poète face à Rilke. Monsieur Lekieffre ne joue pas les professeurs, quand il m'écrit. Il me répond. Je ne sais pas si l'italique rend bien hommage à sa démarche. Répondre, c'est tout une affaire. Il ne s'agit pas d'analyser ce que dit autrui puis de formuler sa propre opinion. Il s'agit de rebondir, ou de s'enchevêtrer dans les propos qui nous ont été adressés. Monsieur Lekieffre ne reprend pas chacune de mes phrases. Il n'offre pas un contrepoint à mes réflexions. Il a compris - pris avec lui - chacun de mes mots. Il y fait écho, avec ses mots à lui, ses mélodies bancales de non littéraire. Notre correspondance m'enthousiasme et m'apaise. J'ai l'impression de parler à un égal qui me comprend et me complète de son expérience.
Il m'a demandé qui j'étais, maintenant. Ce que je faisais de mes journées, si j'avais des enfants. Il n'a pas conservé cette distance didactique qu'ont choisie mes profs de français.
Monsieur Lekieffre m'a dit : "sois toi-même et montre-leur ta passion avec vérité et surtout sans artifice."
Je réfléchis souvent au fait qu'on (enfin, moi) n'écoute que ceux avec qui on est déjà d'accord. Mais je pense aussi beaucoup à Charles Aznavour dans Quotidien, qui disait qu'on ne devrait prendre conseil qu'auprès des gens qu'on admire. Et je pense que c'est vrai. Si monsieur Lekieffre m'avait dit que je me fourvoyais, je l'aurais écouté, parce que je le respecte.
Monsieur Lekieffre cultive son jardin, tire à l'arc et reçoit ses petits enfants. Et compose, bien entendu. J'ai envie d'être à la hauteur de sa bienveillance à mon égard, et d'avoir une vision claire de mon environnement, sans pour autant me perdre dans les méandres de la colère qu'il m'inspire. Après tout, lorsque Muriel et moi évoquions encore une fois la mort qui frappe indifféremment (je venais d'apprendre le décès d'une élève que j'avais l'année dernière), elle m'a amenée à me souvenir de ceci : à quoi bon ? Pour ça : pour la musique, pour la beauté des crépuscules, et pour les mots prononcés il y a un siècle.
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