Et enfin, le silence

Mercredi 24 avril 2019, 20h41
♫ Enya - Storms in Africa


 Me coucher à 21h30, sobre, et dériver jusqu'à minuit. Je ne dors pas. Je rêve. À l'abri derrière le velux sur lequel ricoche la pluie, ou la fenêtre ouverte sur le crépuscule qui n'en finit pas.

(je ne veux pas d'une heure d'été perpétuelle : j'habite en Bretagne, bordel, et si en décembre le jour se levait à 10h, je serais en arrêt maladie tout l'hiver.)

Somnoler pour ralentir le temps. J'ai à nouveau déboursé 35€ pour mon appli de méditation, parce que savoir où trouver le bouton off en cas d'urgence ne me dispense pas de m'en servir pour figer le présent.

Celui qui médite vit dans l’obscurité ; celui qui ne médite pas vit dans l’aveuglement. Nous n’avons que le choix du noir.


— Victor Hugo
Je la trouve sublime, cette citation, et pourtant très éloignée de ce que je vis. Méditer, c'est m'épanouir, c'est trouver la mesure - la retenue et le rythme. Les ténèbres, au contraire, se dissipent, pour laisser place au souffle ample du soleil et de la mer.
Meditation is the journey from sound to silence, from movement to stillness, from limited identity to unlimited space.


— Sri Ravi Shankar

Pas dormir, non, mais sommeiller, consciente des visions qui se lèvent dans mon petit théâtre intérieur, et du chant des oiseaux, et de la chaleur de la couette.

*

Je me demande si ma rentrée n'est pas plus difficile d'être différée : deux heures de cours aujourd'hui, deux heures de cours hier. Je glisse dans les interstices et peine à revenir au monde. Je rêve éveillée. Je dérive d'une chanson à l'autre - ce sont mes élèves, les fantômes, pas mes amis imaginaires.

Je ne me sens jamais fatiguée, quand je bois. Même le lendemain, levée vingt minutes avant de prendre le volant. Depuis hier, je ne fais que bailler et m'alanguir comme une héroïne du 19e.

L'exercice délicat de l'égocentrisme

Vendredi 5 avril 2019, 22h55
♫ Frozen Plasma - Murderous Trap

Je suis moi-même assez peu douée pour jouer les funambules. Je connais mal les nuances : je ne les ressens pas. Pour mes proches ou les malheureux qui tombent au mauvais moment, cela se traduit, je crois, par d'imprévisibles crises de colère, tandis que moi j'ai l'impression d'avoir bouillonné pendant si longtemps que mes explosions me paraissent légitimes. C'est la fameuse colère dont je parlais : elle naît d'un sentiment d'injustice qu'a priori, je me suis infligée toute seule.

Ne m'étant jamais crue légitime, j'ai absorbé, absorbé, jusqu'à l'inévitable restitution. À présent, je m'efforce de partager mes émotions au plus vite, autant pour éviter leur débordement que pour instaurer une communication moins superficielle avec autrui.

Je ne m'en sens pas moins dévastée, et je ne sais pas comment gérer ça. Je me demande si c'est bizarre de chercher à coller une étiquette sur tout ça après tout ce temps, ou si ça ne me permettrait pas de respirer. Je ne veux pas qu'une étiquette me donne l'impression que je n'ai plus d'efforts à faire, parce que je déteste les gens qui décrètent : "je suis comme ça, tu prends ou tu laisses". En même temps, j'aimerais ériger un panonceau au-dessus de ma tête, qui justifie l'intensité de mon incompréhension.

Ce matin, Rebecca Manzoni a consacré son Tube & Co. à Creep, de Radiohead. On a entendu des gens chanter à tue-tête, elle a expliqué combien le rock nineties avait libéré la nouvelle génération de l'ironie mélancolique des années 80, et justifié qu'ils braillent ça de bonne humeur.
Moi, dans ma voiture, je jugulais Angoisse dont les doigts plantés un à un dans mon ventre me donnaient envie de m'arrêter sur le bas côté pour pleurer.
Ce soir, au zapping, on a vu je ne sais quelle association planter des fleurs sur le trajet quotidien de citadins. Un bouquet par SDF mort - un certain nombre d'entre eux n'avait plus de nom, personne ne s'en souvenait. J'ai dit à Mathias : "mais bordel, pour qui ils font ça ?"
C'est qui, les connards qui ne savent pas ? C'est qui, les gens qui vont marcher le long de cette allée en se sentant grandis par ce souvenir préfabriqué ? Ils n'ont pas vu les bidonvilles sous les ponts parisiens ? Ils n'ont pas entendu l'épouse du combattant de Daesh pleurer son fils de douze ans entre 7h50 et 7h55 sur France Inter ?

Je ne peux pas expliquer à mon employeur que les attentats de Charlie et du Bataclan m'ont fait pleurer pendant des jours. Je ne peux pas expliquer aux gens que les commémorations du massacre des Tutsis m'ont donné envie de boire jusqu'à m'endormir. Je ne peux pas dire à V. que le suicide de son mari a creusé des trous par lesquels se sont engouffrées toutes les balles. Bien sûr que je ne peux pas : je ne suis même pas concernée. Pourtant, je me gare sur le parking et je ferme les yeux en ingurgitant mon thé au jasmin, et je compte les minutes qui me séparent du moment où je vais ouvrir la portière et rejoindre le monde.
Je ne peux pas expliquer à mon employeur combien chaque interaction sociale m'a coûté, ni le temps que j'ai passé à observer les gens pour savoir comment réagir et ce que je devais dire. Je ne sais jamais par où commencer quand j'entends une émission sur le "haut potentiel", les troubles autistiques, l'hyper-sensibilité ou les personnalités bordeline, tant je m'y reconnais.
Je me trouve intelligente, évidemment, je suis donc persuadée que si je sombre, c'est parce que les gens sont cons. J'en ai été tellement persuadée - ça ne m'a pas fait spécialement de bien. Aujourd'hui, j'aimerais bien, je crois, m'entendre dire : "c'est pour ça."

Je parle à des gens qui n'existent pas, vous comprenez ? Pour de vrai. Je sais qu'ils n'existent pas, c'est ce qui me différencie, je crois, des schizophrènes, par exemple. D'ailleurs je ne fais rien de parfaitement insensé pour le commun des mortels. Mais j'ai quand même une deuxième personnalité consciente pour faire face au quotidien. Je bois quand même des litres d'alcool pour anéantir les tâches qu'a laissées Angoisse dans mes veines. J'écris quand même ici pour crier : ça va, mais tous les jours quelqu'un me rappelle que je ne comprends pas.
C'est épuisant de ne pas comprendre, c'est pour ça que j'en veux aux gens : dans ma tête, c'est forcément réciproque. Le pire, c'est avec les gens lisibles, ceux dont l'aigreur est manifeste : je sais très bien d'où elle vient, je les déteste de l'exprimer - vu que moi je ne le fais pas.

Si on me disait demain : "ce que tu as, c'est ça", est-ce que je serais moins jugeante envers les autres ? Est-ce que je leur pardonnerais d'étaler leurs souffrances quand je tais les miennes ? Est-ce que si je pouvais brandir un drapeau je serais plus compréhensive ?

Le problème des étiquettes, c'est qu'elles ont le pouvoir de justifier qui nous sommes. Mais moi je ne suis pas malade, pas au point de ne pas réaliser que les autres aussi dealent avec eux-mêmes.

Comment détermine-t-on la limite entre ce que l'on est et ce qu'il est juste d'abandonner au profit d'autrui ?

Un lopin de terre

Mercredi 3 avril 2019, 20h59
♫ Playlist de la semaine sur Spotify - elle est trop bien !

C'est très prétentieux et puis ça va évidemment à l'encontre de ma conviction de le formuler comme ça, mais c'est tout de même ce que je ressens : depuis aujourd'hui 14h, y'a un bout de la planète qui m'appartient.

Pour fêter ça, j'ai acheté une bouteille de champagne. Je me suis jamais sentie aussi adulte :P