Catharsis

Vendredi 14 décembre 2018, 22h24
♫ Enya - The Humming

Salut maman,

Je t'avais promis de revenir...  et j'ai mis le temps, je sais, et je sais aussi que tu t'en fous. T'as la patience des océans, maintenant. Le souffle des méditants et la puissance des forces telluriques. J'ai beaucoup photographié et filmé la mer, en novembre. J'ai arrêté quand décembre a posé sa faux sur l'horizon. Tout a pris une teinte blanche et uniforme ; l'hiver s'est coulé dans la lumière.

La douleur s'est apaisée, comme elle était supposée le faire. Pourtant je suis à nouveau ivre, et je sens que je dois te parler, maman. Je n'ai pas encore de nom pour ce qui me consume, ce qui, pour la littéraire que je suis, constitue un problème en soi.
Tu n'es plus là, et cette absurdité ne cesse de me transpercer. L'aller-retour enthousiaste d'une lame maniée avec ironie. La mer m'apaise toujours autant, mais je ne cesse d'y voir rouler des fantômes.

J'ai toujours aussi peur, tu sais, c'est pour ça que je continue de te parler : pour oublier qu'au fond, je ne crois pas que tu m'entendes.

Je t'aime, putain, maman.

J'ai foi en mes convictions, et j'ai foi en les mots. J'ai foi en la force des symboles, et en ma certitude du non-sens. C'est avec toute ma rationalité que je t'invoque. Parce que, maman, si rien n'a de sens, alors tu peux bien me revenir et m'accompagner. Et si je t'espère chevauchant les vagues au son de Storms in Africa, rien, dans ce cas, ne peut l'empêcher d'advenir.

♫ Nachtblut - Antik

J'ai même pas honte de dire à quel point cette chanson a du sens pour moi. J'ai un super bon potentiel midigoth, à la base, parce qu'elle a accompagné ma lecture de Love Street comme Vale of tears avait secondé celle d'Armand le vampire (rien que l'assemblage de ces deux titres est terrifiant de gothitude). Le fait est que Mu écoutait Fairy Tail et s'enquillait les let's play de Bob Lennon. Parce qu'on avait besoin de légèreté, oui, pour autant celle-ci n'était que de façade. Là où vous voyez peut-être du superficiel et du mauvais goût, nous avons puisé des ressources qu'on ne trouve pas, d'après moi, chez les "grands" : ils nous sont par trop étrangers. Aussi éperdument passionnée de tragédies que je sois, je n'y trouve pas la catharsis espérée, ou plutôt, la catharsis ne me libère nullement. Il faut du quotidien, du vécu, ne serait-ce que parce que se dresser face aux dieux, c'est bien beau, mais les dieux n'existent pas. Il faut s'affronter au vide. C'est pour ça que j'aime Antigone, dont je parlais sur le Carnet : ce sont les hommes qu'elle récuse, pas les dieux. Les artistes "mineurs" peuvent le faire avec moins de mots, mais autant, voire plus, d'enthousiasme, de colère ou d'innocence. Se révolter, quand on est un intellectuel reconnu, c'est facile : tout le monde est d'accord avec vous.

Mer(e) et terre

Jeudi 13 décembre 2018, toujours, il est 23h20.
♫ Midnight Oil - The dead heart, after Liquido -  Narcotic

1. Il est à noter que j'aime les musiques qui me rendent heureuse, et beaucoup moins celles qui m'enfoncent la tête sous l'eau.

2. Ma sœur n'est pas mon âme sœur. Elle est ma sœur dans le sens le plus fort, le plus mythologique du terme. Amies, ennemies - jamais -, nous sommes reliées. Si tu t'approches de trop près et que je ne te sens pas, gare aux griffes. Qu'on ait douze ou cent ans, ça ne change pas.

She crazy like in every single way
Like a hurricane
You gotta get out of the way
But she's hot, and she's cold
And she's cool and she's bold
And she's full of rage like me

Lana Del Ray, Noir

3. Les rouleaux sur la plage à Saint Quay.
Comme si le ciel se dévidait dans l'écume. Il faisait froid et gris. J'étais seule au bord de mer.

Signes

Jeudi 13 décembre 2018, 22h49
♫ VNV Nation - Further & 4400 theme extended

Se savoir vivant quand l'autre est parti est une sensation très particulière. On a l'impression de percevoir une dimension supplémentaire. Tout devient signe, et aucun ne nous est destiné. Notre insignifiance nous terrasse, et nous exalte.

J'ai bien fait de continuer à regarder Harry Potter. Les autres années, je me suis arrêtée au premier film (je mate toujours Harry Potter aux alentours de décembre). Je me dis que je devrais les relire. Après tout, j'avais quinze ans de moins quand j'ai passé outre mon rejet stupide de tout ce qui est populaire. Comme hier, j'y découvrirai probablement bien d'autres choses. Ma force, en dehors de ma foutue et trompeuse colère, c'est surtout d'être capable d'introspection. Je sais toujours très bien qui et où je suis. Je démêle mes propres fils sans difficulté. Dommage que je sois incapable d'étendre cette faculté à mes contemporains.

 

Le refus et le mouvement

Mercredi 12 décembre, 22h12
♫ VNV Nation - Standing (live)


Je viens de revoir L'Ordre du Phénix, et à la fin du combat entre Dumbledore et Voldemort, tandis que ce dernier possède Harry, j'ai réalisé quelque chose que je n'avais jamais compris : c'est pas tant le pardon qui est difficile, que de se prémunir contre la fureur et l'abandon.
Le pardon, c'est autre chose.

Le premier mouvement, c'est le refus. L'unique mouvement. Je m'en suis tenue à la colère, mais elle me consume tout autant que si je m'étais résignée. Rien ni personne ne devrait avoir un tel pouvoir sur moi.

C'est pour ça que les héros en sont, c'est pour ça qu'ils sont badass. Ils sont puissants parce qu'ils sont au-dessus. Ils savent canaliser leur rage, et la transformer en un bruit blanc qui fonde leur méditation. Elle ne les accable pas, ils la surplombent. Elle n'a pas disparu pour autant.

J'ai toujours cru, au fond de moi, que ma colère était ma force, qu'elle me constituait, mais j'ai rarement su la dépasser. Elle est fondatrice, oui, mais pas que de mes cicatrices. Elle suppure en permanence. Elle m'affaiblit, alors que je croyais m'adosser à son aura rouge et destructrice. Je croyais que j'étais puissante, alors que je me recroquevillais à chacun de ses assauts.

Mais j'ai compris. Et tandis que Ronan Harris crie "Are you happy ??" je crois que pour la première fois, je peux répondre que oui.

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La nuit dernière, j'ai rêvé que nous entrions dans une forteresse. C'était un labyrinthe rempli de touristes et, alors que je nous croyais parvenus au terme du parcours, je réalisais que j'avais été abusée par la perspective, et que ce que je savais être la sortie se trouvait au-delà du rempart infranchissable. J'en ai conçu une impatience et une frustration exacerbées. Le rêve a recommencé. Cette fois, je savais où aller. Nous sommes arrivés au bout. Nous ne pouvions pas pour autant sortir. L'impatience s'est muée en anxiété.

Nous avons traversé des pièces lumineuses, des cloîtres, des remparts. Une fois, deux fois... J'ai l'impression d'avoir refait ce rêve en boucle trois ou quatre fois. Je me suis réveillée en sursaut entre chaque itération, et chaque fois que je me suis rendormie, je suis revenue au point de départ. Quand le réveil a sonné, j'ai hésité entre le soulagement et l'angoisse. J'aurais bien aimé sortir ; j'avais l'impression d'être toujours prisonnière de cet endroit sans issue, et bondé.

Comme à chaque fois que je visite en rêve un lieu clos, une impression très fort de déjà-vu nourrissait mon exaspération.

D'après le dictionnaire des rêves de Tristan Moir, "le château est le siège de l’imaginaire humain. C’est, plus précisément, l’imaginaire de l’enfant qui est représenté par le château. Celui qui le visite en rêve est donc en train de se reconnecter avec sa capacité à imaginer ou à créer d’autres mondes, ce potentiel extraordinaire de l’imaginaire créatif de l’enfant. Dans son histoire, l’individu le bâtit, l’abandonne pour le redécouvrir. Ce retour sur soi est aussi une capacité à ré-enchanter le monde.

C’est dans le château, derrière ses murs, dans le labyrinthe de ses couloirs et de ses souterrains, à l’intérieur de ses pièces innombrables que l’individu résout l’énigme, le mystère de la vie. C’est ici qu’il peut un jour découvrir un trésor, celui de sa nature véritable.

Le château un lieu mystérieux, magique où peuvent se dérouler toutes les transformations. Ainsi, l’homme peut l’approcher, mais pour y parvenir, il doit d’abord vaincre le dragon pour atteindre la princesse. L’histoire devient plus universelle. C’est la quête fondamentale de l’homme, la rencontre avec son opposé, sa partie d’ombre."

Derrière le blabla - et la coïncidence des révélations -, je souris (jaune). L'adulte prisonnière de son imaginaire - ses traumas -, l'incapacité à imaginer, à créer autre chose, l'énigme non résolue, la transformation non advenue. N'en déplaise à Vanina autant qu'à mon esprit cartésien, les pièces s'emboîtent, comme d'habitude.

Rhaa

Jeudi 6 décembre 2018, 21h05
♫ Cyborg Attack - Blutgeld

J'ai l'impression d'avoir appris pas mal de trucs, ces deux dernières années. Je suis plus patiente et je porte beaucoup moins de jugements à l'emporte-pièce. Mais y'a un truc que j'ai toujours pas réussi à soigner, tellement c'est épidermique : je ne supporte pas l'autorité, quand je l'estime déplacée ou mal utilisée. Je vois qu'épidermique se dit en réalité "d'une réaction qui présente d'emblée un certain caractère d'hostilité, d'agressivité", ce qui qualifie tout à fait ma manière de réagir, mais ce que j'entendais par là, c'est que c'est si spontané que je ne vois rien venir, donc je n'ai pas le temps de prendre du recul.

Ça m'est encore tombé dessus tout à l'heure (ou c'est tombé sur mon interlocutrice, c'est selon, mais les conséquences, elles sont pour moi.)
J'ai fait une belle boulette, cette semaine : j'avais bien noté les rencontres parents-profs de 3e à Stella Maris aujourd'hui, mais omis que le jeudi, je finis à Paimpol. Il aurait fallu que je bloque les premiers créneaux disponibles, au moins jusqu'à dix-sept heures, et je ne l'ai pas fait. Donc, je me retrouve ce midi, en panique, à mendier auprès de la CPE (la directrice était en rendez-vous et c'est la CPE qui gère la perm') la possibilité de lâcher les 4e vingt minutes en avance. Ça passe, y'a de la place en perm', c'est réglé. Là-dessus, je vais fumer une clope, histoire de décompresser cinq minutes avant la reprise des cours (le jeudi, je bosse de 8 à 16h30 sans autre pause que la pause déj', durant laquelle je fais aussi le trajet entre les deux établissements. Bref.)

La directrice se pointe et m'incendie. Je me répands en excuses, j'explique que je sais que c'est une faute professionnelle. Elle me répète que je dois assurer mon heure. Je réexplique que je ne peux pas. Rebelote. Ça commence à m'énerver et ça se voit, je me prends un "tu comprends bien que je suis dans mon rôle de directrice de te dire ça", je réponds que oui, que je suis toujours aussi désolée et que j'assume complètement, et je finis, à bout, par glisser un "alors propose-moi une solution." Elle fait mine de réfléchir, ou réfléchit vraiment, je sais pas, et me dit "il faudra rattraper ton heure." J'ai répondu que bien évidemment (je vous passe le moment où elle m'explique que le collège pâtit terriblement de cette erreur : je les lâchais vingt minutes en avance, hein.)

Je peux pas vous la refaire vraiment dans l'ordre et d'ailleurs vous vous en foutez, j'écris juste pour me défouler, mais déjà, me dire que je devais assumer mon heure alors que j'étais dans l'impossibilité de le faire et qu'une solution avait été trouvée, j'ai trouvé que c'était peu pertinent. Ensuite, elle m'a sorti : "déjà que tu n'étais pas là au conseil de classe, et que tu es partie en formation..." Le pire, c'est que j'ai beau rester calme - même si ma colère froide se lit sur moi comme dans un livre -, je n'ai rien su répondre à ça, alors que c'était parfaitement déplacé. Mon absence au conseil était justifiée et j'en avais fait la demande bien en avance. Quant à la formation... J'ai loupé deux heures de cours, chacune avec une classe différente, pour me former avec deux collègues sur le projet Classe Actu. Ce n'est pas moi qui ai formulé cette demande, mais ma collègue documentaliste. Le projet Classe Actu, la directrice en est ravie, elle ne manque pas de s'en vanter chaque fois qu'elle croise un parent. Alors tu sais quoi, Élodie ? C'est la dernière fois que je mène le moindre projet d'envergure avec nos élèves. Ça me prend du temps supplémentaire, ça m'oblige à repenser mes progressions pour le caser parmi les impondérables du programme, j'ai dû faire un aller-retour à Saint-Brieuc et y passer la journée alors que j'avais que quatre heures de cours ce jour-là. Si j'ajoute à ça que même s'il est normal que je me partage entre mes deux établissements, je ne dois à Saint Jo' que 8h de cours contre 13 à Stella...

Ça fait longtemps que j'avais pas été de si mauvaise humeur. En plus, je suis apparemment incapable de me faire comprendre, dans ces cas-là ; on dirait que mon corps exprime tout le contraire de ce que je dis. Je dis que je comprends le savon et que je le sais mérité, on me rétorque "mais je ne t'engueule pas." Je dis que j'assume mais que je ne sais pas quoi faire, on me répond "mais enfin ne t'énerve pas, j'ai toute légitimité à te parler comme je le fais." J'ai l'impression d'une conversation de sourds qui me met d'autant plus en colère.

Et comme j'ai aucun sens de la mesure et que j'ai horreur de devoir rendre des comptes à quelqu'un que je ne respecte pas, ma première réaction après ça a été d'envisager ma démission. Je me suis dit "ah tu veux jouer à ça ? Très bien, demain j'abandonne mon poste, démerde-toi pour trouver quelqu'un au pied levé pour assurer tes huit heures et reprendre les projets en cours. On verra si tu préférais pas une prof à la ramasse."

Parce qu'encore une fois, c'est pas l'engueulade. Mélanie m'a aussi adressé un mail très vert, et parfaitement mérité. Comme tout le monde, j'aime pas trop m'apercevoir que j'ai fait une connerie, mais je suis capable d'entendre les critiques qui l'accompagnent. Mais quand je me suis excusée trois fois et que rien ne change en face, j'ai envie de dire : "eh bah quoi ? Prends une sanction, je sais pas moi !" Si je dis que j'assume, j'assume, mais si la sanction se résume à devoir baisser les yeux en répétant "oui madame", t'es tombée sur la mauvaise personne. Nos élèves, on leur donne des punitions en rapport avec leurs manquements. Fais pareil avec tes profs. J'ai manqué des heures ? Donne m'en d'autres ! Demande-moi de les justifier auprès des parents ! Je sais pas, moi !

Il est 22h, demain j'ai encore cours à 8h. "Mais au moins t'as un plein temps ! Je sais ce que c'est, tu sais, je l'ai fait pendant des années." Ouais Élodie, j'ai un plein temps, et même quatre heures de plus, et l'année prochaine tu me reverras pas. Je prendrai un temps partiel où qu'on me le propose, mais pas chez toi. Et j'espère que t'entendras les bruits de couloir. Même le prof de techno m'a dit : "bah tu sais, c'est ça les profs de sport..."  Ouais, c'est ça, les directrices qui ne connaissent de l'enseignement ni les corrections de copies ni, excusez-moi, les préparations de cours. On parle des seuls profs qui ne sont pas obligés de maîtriser la matière qu'ils enseignent. Ils ont le droit de noter la performance de leurs élèves en gymnastique sans être capable eux-mêmes de la pratiquer. Je sais pas comment ils font, moi j'aurais eu trop honte.

Sinon, j'ai proposé à Tom de lui consacrer une ou deux heures par semaine après les cours histoire de réviser pour le Brevet, mais je suppose que c'est parce que je ne suis pas assez dévouée à mon boulot.

Disparus en mer - À l'envers

mercredi 5 décembre 2018, 20h37
♫ VNV Nation - Noire

J'avais entendu la nouvelle aux infos du matin : un radeau de survie retrouvé vide au large de Saint Quay Portrieux, qui avait immédiatement convoqué mes souvenirs de Pêcheurs d'Islande, que j'ai lu il y a si longtemps, dans ma Beauce qui ne connaissait des marées que le vent dans les épis de blé.

Plus tard, en quittant mon collège paimpolais, j'ai croisé Karen, qui fumait en triturant son portable, comme souvent. Je lui ai souhaité une bonne après-midi, et elle a grimacé avant de m'adresser un vague sourire en disant "ouais". J'ai soupiré intérieurement, en pensant : "elle fait souvent la gueule, quand même. Je sais bien qu'elle a pas la vie facile, mais bon..."

Le soir arrivait le mail :
"Nous venons d'apprendre ce jour le décès du papa de Nassim H.
Ce dernier est porté disparu en mer et malheureusement il ne reste pas d'espoir après 12h dans l'eau.
Karen et Nassim seront donc absents quelques temps."
 
Voilà.
 
Je suis allée voir la mer, ce matin. J'y ai pris une photo, à laquelle je destinais la légende de celle que j'ai postée sur le Carnet. Mais j'y suis retournée ce soir - après tout, je m'étais promis de contempler la mer dans l'obscurité.
Après, je suis retournée à Stella Maris pour rencontrer mes parents délégués. J'ai dit : "ah pardon, vous êtes déjà là ! J'étais allée voir la mer...
- Hein ?
- Je suis allée voir la mer.
- Ah ! J'ai cru que vous disiez : j'ai été voir ma mère."

T'étais pas loin du compte.

Ils ont trouvé un corps, ce matin. Je les ai observés tandis que la vedette des sauveteurs prenait son élan sur l'océan, suivie par une foule de petits bateaux de pêcheurs.

J'espère que c'était celui du papa de Nassim. Ou pas ?