La page blanche

Vendredi 7 juin 2019, 22h59
Further ?




Je ne sais pas du tout quoi écrire. Ce n'est pas la première fois que j'en fais le constat ; c'est toujours aussi terrifiant.
Ne pas écrire, pour moi, c'est à peu près synonyme de ne pas être. Je me fous de la qualité : j'écris parce que je pense et parce que je ressens. N'avoir rien à dire, c'est un échec - pire, un renoncement. Une négation. Comme si tout ce que j'avais vécu retournait au néant au fur et à mesure. Ne pas écrire, c'est être dénuée d'imagination, d'idées, de refuges.

Mes autres moi aussi se sont tus. Je suis toute seule face à l'écume. Une page blanche dont mêmes les ratures s'effacent en soubresauts.

Alors je ressuscite les mélodies d’antan. Celles dont j'attendais autant qu'elles m'abdiquent qu'elles me donnent envie de me relever. J'espère une étincelle.

Je ne pouvais pas me poser la question, avant : la sérénité m'a-t-elle privée de tout ce que j'étais ? Est-ce qu'elle m'a condamnée au silence ? Si c'est le cas, je prierai sans hésiter pour le retour d'Angoisse, Doute et les autres, parce que je n'aurai jamais autant l'impression de m'éteindre à petit feu que si je suis privée de mots.

Deux histoires devraient crever ma poitrine et mes doigts s'agitent dans le vide. C'est comme si après les avoir couvées, je leur avais rogné les griffes. Elles essaient de se frayer un chemin à travers moi et toutes les issues sont bouchées.

Je veux écrire. J'ouvre des documents word dont les pages blanches me narguent. Elles n'attendent rien - ce sont des pages word. Des mots sans queue ni tête ruissèlent dessus. Je ne les vois pas vraiment : il ne s'agit que d'encre virtuelle, dans tous les sens du terme - juste une image. Je veux écrire, mais rien ne vient.

*

Ce personnage, je le sais par cœur, mais dans ce contexte, toutes mes traductions tombent à côté. Ça veut sans doute dire qu'il n'y a pas sa place, mais non, je n'y crois pas. Il doit être là.
Je ne devrais même pas avoir à l'écouter, puisque je le connais. Mais c'est d'écrire un roman, dans lequel j'exprime "à voix haute" des gens dont je n'avais jamais parlé, pas vraiment, qui rend l'exercice si difficile. Je sais très bien être moi, en revanche, je n'ai jamais su me traduire.

C'est comme si avoir parlé de moi, de ce que vous savez ou devinez déjà, était moins intime que de parler des personnages que j'avais inventés. Leur donner vie, c'est me livrer en pâture, tandis que quand je parle de moi, je ne fais que souligner l'évidence.

*

01h25
♫ Enya - The Humming & Echoes in rain

C'est peut-être pour ça, en fait. Pour "faire mon deuil", j'ai verrouillé. Il fallait avancer, n'est-ce pas ? J'ai fait tout ce que j'avais espéré. J'ai oublié. Je t'ai enterrée, maman, comme je l'avais souhaité de ton vivant. Si ça se trouve, j'ai bien plus espéré que toi que ça se termine. Évidemment, je ne pensais jamais à toi en regardant la mer, avant. Ça, ça a changé. Je t'ai oubliée, mais je ne regarde plus l'océan que du coin de l’œil.

Je pourrais parler des funérailles de maman. Mais ça ne sera jamais aussi intime que le piano d'Echoes in rain. Ça ne sera jamais aussi intime que si je révélais ce que j'ai sangloté dans les bras de mes amis imaginaires. Et j'aimerais vraiment vous le dire. Mais je n'y arrive pas.

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