Alice & Rose

Mardi 5 juin 2018, 20h18
♫ Indochine – Rose Song

En rentrant de Paimpol, tout à l’heure, j’ai poussé Dancetaria dans le lecteur de la voiture. Je me suis laissée porter par le morceau éponyme, j’ai écouté un bout de Manifesto, fredonné Justine jusqu’au bout, puis j’ai mis Rose Song.

Ça venait. Je chantais un texte jamais oublié, et la marée montante des guitares accompagnait les cohortes de souvenirs qui déferlaient de la porte entrouverte comme sur un soir d’octobre, quand les fantômes de Samhain recouvrent le paysage d’une brume blanche.


Un jour quand je serai grand
Un jour quand j'aurai 18 ans
Je sortirai par la fenêtre
Et je partirai très longtemps
Dans le noir

Un royaume près de la mer
Tout faire avant que tout s'éteigne
Prier les fées te faire venir
Grandir 
Dans le noir


Je ferme les yeux. Je revois la chambre lambrissée, suspendue, encastrée entre les deux tours, refuge, prison, où tant d’espoirs ont été formulés, tant de nostalgies pour des jours inconnus imprimés sur les murs.


Un jour peut-être je te protégerai
Car c'est toi que j'aime
Parce que
Je crois qu'un jour moi je t'épouserai
On fera de beaux rêves
Un royaume près de la mer
Seuls au monde comme des sœurs des frères

Un jour quand je serai vieux
Un jour je serai amoureux
On apprendra à se ressembler
Perdus au fin fond des forêts
Dans le noir


J’égrène les paroles avec un sourire aux lèvres, émue, bouleversée de ressentir ce frisson qui me parcourt tout le corps. J’ai envie de murmurer le texte comme une incantation, d’ouvrir les bras. Je n’ai pas été traversée par une telle joie depuis longtemps.


Un jour peut-être je te protégerai
Car c'est toi que j'aime
Parce que
Je crois qu'un jour moi je t'épouserai
On fera de beaux rêves
Un royaume près de la mer
Seuls au monde comme des sœurs des frères


À l’unisson, je chante a bocca chiusa. Et puis…


On attendra au fond de toi
L'arrivée
Tu sais
On entendra au fond de toi
Résonner
Qui sait
On arrivera et tu sauras
Remercier les fées
Je crois qu'un jour
Ce sera toi qui saura m'aimer


J’ai pleuré. Sans m’y être attendue, sans avoir compris encore que ce qui montait allait déborder, que ça coulait déjà sous la porte entrouverte. Et c’était bien. Mon dieu, c’était putain de bien. Quand j’ai réalisé que c’était une autre de ces singularités qu’Eliness a si bien nommées, et que j’avais chanté ce texte à rebours, et qu’aujourd’hui, j’étais ce fantôme des temps à venir qu’invoque la chanson, et que j’invoquais avec un espoir fou et une naïveté touchante il y a dix-sept ans.

Il y a dix-sept ans, je chantais Rose Song pour qu’advienne ce moment. Et là, c’était comme si je faisais advenir ce moment en chantant. J’ai trouvé mon royaume près de la mer. Celui dont j’espérais si fort qu’il saurait m’aimer est là. Deux versions de moi-même se sont rencontrées le temps de Rose Song, et elles ont fusionné.

C’est putain d’extraordinaire.

C’était putain de beau, et rien que pour ça, je veux vivre. J’ai encore de la ressource. Il arrivera encore des épiphanies. Et le meilleur, c’est qu’elles arrivent quand on ne s’y attend pas, parce que c’est leur essence.

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