Vendredi 16 mars 2018, 21h58
♫ Push – The Legacy (en boucle)
Quand je suis rentrée en seconde, ça allait être l’an 2000. Tout le monde en avait fait un seuil. Moi aussi. Quand madame Calmels nous a demandé de préparer un exposé sur un sujet de notre choix, j’ai décidé que je travaillerais sur ce passage. Maman m’a acheté un livre, L’an mil, de Georges Duby, pour que j’aie du grain à moudre. Finalement, je n’ai pas trouvé la substance de mon exposé, et j’ai écrit à propos d’un tout autre sujet – le bouddhisme. J’ai eu une bonne note, je crois. Et j’ai culpabilisé pendant très longtemps, parce que maman m’avait acheté un livre – plutôt cher – dont je ne m’étais pas servi.
C’était pas le prix. C’était parce que 1. Elle avait écouté, avec sa sensibilité habituelle, et avait mis en œuvre ce qu’elle pouvait pour accompagner mon enthousiasme. 2. Quoi qu’elle fasse, ça lui coûtait un monde. Chaque geste qu’elle faisait, chaque pensée qu’elle consacrait à autrui, représentait bien plus pour ma mère que pour quiconque. Qu’elle ait pu faire quoi que ce soit d’autre que de hurler face à la maladie qui prenait ses aises à cette époque m’emplit de tristesse… et de fierté. Et de culpabilité.
Je l’ai perdue progressivement, comme nous tous (ma famille, je veux dire), parce qu’elle diminuait aussi bien physiquement que mentalement. Mais… Quand elle était encore présente, elle l’était totalement. À douze, treize ans, je ne sais plus, j’ai eu ma période de révolte – contre elle. Je l’ai tellement provoquée qu’elle m’a coursée dans les escaliers pour me coller la pire paire de baffes de ma vie. Le souvenir est vague. Mais je… je sais que je l’ai sciemment attendue, parce que là où je mettais dix secondes, elle en mettait quarante, et j’ai ralenti, et j’ai fermé cette porte qu’elle allait ouvrir à la volée, et me suis recroquevillée contre mon lit, et j’ai attendu la punition méritée.
Un jour, j’ai giflé Mathias. Et c’était exactement la même sensation (dit-elle vingt ans après). J’ai dépassé les bornes et ça m’a soulagée. Je voulais que Mathias me frappe en retour.
Papa et moi, on est des cogneurs. Et si le drame n’advient pas, je le provoque. Un jour que Mathias était particulièrement fragile, et à bout, j’ai poussé du bout du doigt ce qu’il fallait pour qu’il perde les pédales. Je lui ai jeté un coussin à la gueule parce qu’il fallait que je lance quelque chose mais que je ne voulais pas réitérer la gifle ; il m’a poussée contre l’étagère. Que c’était bon de le fusiller d’un regard indigné, tandis que je priais pour qu’il m’en retourne une.
J’ai envie d’avoir mal. J’ai envie que quelqu’un me colle une tarte dans la gueule. C’est sans doute pour ça que je me tailladais les avant-bras et que j’ai conservé la cicatrice d’une fois où je me suis fait peur.
Et avant que quiconque ne crie au scandale, Mathias n’a jamais levé la main sur moi. Le jour où je l’ai frappé a marqué une rupture. C’est moi, la brute, pas lui.
Bref.
J’ai souvent rêvé de tabasser des gens, et j’ai aussi beaucoup souhaité finir avec un coquard sur la tempe et des veines explosées dans les bras.
À douze ou treize ans, j’ai été si insolente envers ma mère qu’elle a gravi un escalier avec tout ce qu’elle avait de forces pour me retourner une gifle aller-retour, et une paire d’années plus tard, elle m’offrait un livre pour que je puisse mener à bien un exposé que j’ai abandonné en cours de route.
J’ai envie de frapper des gens. Mais j’aimerais aussi servir de punching-ball, physiquement, à ceux qui peuvent se targuer d’avoir subi mon outrecuidance.
Faites-moi voir des étoiles...
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