Mardi 5 novembre 2019, 23h35
♫ Playlist "en boucle" de Spotify
Je savais que j'aurais pas envie de me lever et je savais que les mots reviendraient. Je savais qu'ils viendraient à la rescousse : les ados, leurs maux, la musique que tu savoures parce que t'as pas le choix, la bière qui coule à flot parce que t'as plus le choix non plus, les aubes barrées d'orage, les trombes d'eaux sous lesquelles tu cours, les citations que tu gardes dans la cage thoracique pour les ressortir auxdits ados parce que tu sais que trois d'entre eux vont résonner, les nuits mouvementées, la fumée, le chat qui respire si fort.
J'étais assise en tailleur dans un couloir et j'essayais d'être l'adulte que je voulais devenir en commençant ce métier : je m'efforçais d'être encourageante et surtout pas conne en face d'une ado désemparée, en pleurs, qui mettait des mots loin d'être subjectifs sur son mal-être.
J'aimais être là, non pas parce que j'espérais enfin en trouver un qui aille mal, mais parce que j'espérais enfin pouvoir être utile à un de ceux qui allaient mal.
Je voulais lui dire que je me souvenais que mes propres profs m'avaient dit "oh, ça va, c'est des histoires de gamines, grandis un peu !" Alors que ces histoires, c'était toute ma vie, c'était tout ce qui comptait. J'ai reconnu mes hurlements silencieux, sauf qu'elle avait les mots pour les dire, sauf qu'elle avait confiance. Je pouvais pas me rater.
Je me suis sûrement ratée. Quand je lui ai proposé des moyens de se défendre, avec mes maladresses. Quand j'ai topé Audrey pour tenter de lui expliquer comment interagir avec sa copine malheureuse. Quand je n'ai plus su, comme souvent, déterminer la frontière entre prof et humain.
Alors, comme à chaque fois, c'est revenu. J'ai écrit mes failles. Je suis certaine que qui ne me connaît pas y verra les défauts d'un personnage pas trop mal écrit. Ceux qui me connaissent bien reconnaîtront mes propres tares. C'est ce qui rend la fiction si difficile à faire lire. C'est bien plus personnel qu'un blog.
Je suis sûre d'avoir écrit un billet fort ressemblant à celui-ci, une autre rentrée. C'est pour ça que je sais que mes efforts sont vains :
je ne vais pas arrêter de boire
je ne vais pas me coucher à une heure décente après avoir bossé toute la soirée
Je ne vais pas cesser d'exploser puis de m'éteindre - et vice-versa.
Je vais trouver la matière de mes textes chaque jour passé au taf, et je vais m'efforcer de ne trahir personne chaque fois que ça exsudera trop pour que je n'ai d'autre choix que de l'encrer.
Je vais m'entourer d'un écran de fumée tous les soirs si je peux y projeter le théâtre de mes journées.
Je vais écouter de la musique trop fort pour convoquer les émotions et me les rejouer en boucle, parce que c'est ce qui me fait vivre.
Je vais continuer de picoler pour que leurs voix ne deviennent pas insoutenables.